Vie donnée à Dieu pour le service des Pauvres

J’ai entendu l’appel très tôt : le jour de ma première communion. J’avais 7 ans, et j’ai senti que je ne partagerais ma vie qu’avec le Christ. Dieu se manifestait à travers les évènements : ma vie dans une famille unie où les valeurs morales et religieuses étaient vécues, la guerre, la défaite, l’occupation allemande et la découverte de l’horreur des camps nazis… Comment ne pas être marquée par tant de souffrances…

Je fis mes études d’infirmière et je compris qu’après tous ces signes, Dieu attendait ma réponse. Avec l’aide d’un prêtre, je me suis décidée à entrer chez les Filles de la Charité. Je savais que là, je pourrais servir les Pauvres et y vivre avec le Christ. Après un temps de formation, me voilà lancée dans la vie active.

Dans ma première maison, nous étions 12 sœurs. Même si la vie de communauté n’est pas un long fleuve tranquille, il y avait beaucoup de fraternité entre nous. L’Amour de Dieu et celui des Pauvres nous réunissaient et nourrissaient nos temps de prière. Dans ce quartier de Paris, j’ai vraiment rencontré la pauvreté. Je revois encore cette femme dans une petite chambre avec 3 enfants obligée d’accrocher les chaises et de plier la table le soir afin de mettre les matelas par terre pour dormir. Je ne peux oublier non plus la petite Danièle, hospitalisée suite à une intoxication par un poêle à charbon (provoquée par son père qui l’aimait mais était farouchement hostile à sa démarche) lors de la retraite de première communion.

J’ai connu de nombreux changements et partout je retrouvais des Pauvres. Dieu me faisait comprendre comment améliorer ces rencontres. Il fallait dépasser les aides, services et petits mots réconfortants, aller plus loin, aider les Pauvres à se prendre en charge. J’allais chez eux, ils me recevaient, la distance entre nous diminuait, une certaine simplicité s’installait, ils pouvaient parler des choses importantes de leur vie.

Plus tard, j’ai répondu à un appel pour partir aider au camp de Sakéo en Thailande où les Khmers rouges s’étaient réfugiés. Une nuit où je veillais, j’ai pu parler avec Ven qui nous aidait dans la tente où se trouvaient les malades. Parti avec 18 membres de sa famille il était arrivé seul au camp, tous les autres étaient morts de faim, de mauvais traitements, exécutés, le dernier, fut sa femme, perdue en forêt. J’ai reçu cette confidence comme un vrai cadeau et j’y pense souvent, cela m’aide dans les moments difficiles. Nous étions plusieurs sœurs venant de partout. Que faisions-nous de plus que « Médecins Sans Frontières » auxquels nous étions rattachées ? Rien de plus en apparence mais nous, c’était notre appartenance à ce Dieu à qui nous avions donné notre vie qui nous motivait.

Plus tard, j’ai été missionnée dans une communauté en H.L.M. rattachée au « S.A.P.P.E.L. », Association fondée pour évangéliser le quart-monde. Dans ce cadre, nous organisions des retraites aménagées pour un petit groupe de personnes en situation de précarité.

Un appel avait été lancé pour aller faire jouer des enfants du Kosovo très perturbés par les massacres et ayant vécu plusieurs semaines en forêt dans la neige. J’ai accepté car, malgré mon âge avancé, je me sentais très proche des enfants et que j’avais gardé mon entrain pour jouer. Ce fut le jeu qui nous servit de langue et de remède. Très vite, les rires ont fusé en renversant les boites dans le jeu du « chamboule-tout » et très vite aussi les petits chantaient « savez-vous planter les choux » (chansonnette du folklore français)

Au Rwanda c’est à ma demande que la Compagnie m’a envoyée. Six années dans ce petit pays très pauvre mais ravissant. On disait que « Dieu venait s’y reposer la nuit ». Là-bas, je faisais surtout le chauffeur pour conduire les malades la nuit et même parfois ramener les morts pour que ces pauvres gens puissent les enterrer autour de leur maison, le coût en restant à l’hôpital étant trop onéreux pour eux. Ils m’appelaient « umukécuru » (ce qui veut dire « la grand-mère », titre de reconnaissance. J’ai eu la joie de voir fleurir des vocations de jeunes Rwandaises qui sont aujourd’hui des Sœurs vaillantes, très proches des Pauvres et heureuses, malgré les terribles massacres quelques années plus tard.

Le dernier endroit où je suis allée est à l’Association catholique « Depaul » au service des gens de la rue. J’étais une simple bénévole au milieu des autres, attelée à des tâches très humbles comme la lessive, les douches, le service du café à des hommes et des femmes vivant dans la rue. Avec Eux, nous avions des rapports très simples. Ils étaient « nos maîtres », faisant ce qu’ils nous demandaient, recevant parfois des paroles rudes ou blessantes, mais aussi parfois amicales, voire empreintes de délicatesse.

J’arrive à la dernière étape de ma vie. L’heure de la rencontre approche, inimaginable. Bien sûr, j’ai une certaine appréhension, pourtant je sais qu’Il sera là… Que dire ? Tout simplement : MERCI pour tant de bonheur même s’il y a eu des moments difficiles, même très difficiles, avec des passages à vide où je négligeais Dieu. Mais, Lui était toujours là, attendant «le retour de l’enfant prodigue».

Sœur Marie-Renée Lelièvre Province Belgique-France-Suisse